Passer d’un bureau d’études au Burkina Faso à un atelier d’ébénisterie en Alsace ? C’est le pari audacieux qu’a fait Laure Prin. Animée par l’envie de créer avec ses mains, cette artisane a choisi le bois pour donner un nouveau sens à son quotidien. Dans cet entretien, elle partage notamment son cheminement vers une pratique artisanale engagée, sa technique de tournage du bois et sa démarche artistique singulière. Une immersion dans l’univers sensible d’une créatrice qui allie artisanat et poésie.




1. Il paraît que tu n’as pas toujours exercé un métier manuel. Peux-tu nous raconter ton parcours, et ce qui t’a amenée à te reconvertir dans le travail du bois ?
Effectivement ! On peut dire que j’ai déroulé le « schéma classique » d’une bonne élève… Bac S avec mention, licence de bio, puis diplôme d’ingénieur. J’ai commencé ma carrière professionnelle en gestion de projets dans divers domaines : entrepreneuriat social, projet de recherche en agroalimentaire, bureau d’études en ingénierie sociale, etc. Le point commun à toutes ces expériences : le continent africain, où j’ai travaillé pendant 6 ans, et également la recherche d’une certaine éthique et solidarité dans mon travail.
En 2019, alors directrice technique d’un bureau d’études au Burkina Faso, je me questionne sur le sens et l’éthique profonde de ce que je fais tous les jours en allant travailler. Et surtout, je fais un constat : j’ai deux mains, je ne sais rien en faire ! (À part taper sur un clavier pour produire de beaux rapports et de grands et jolis tableaux Excel !) Triste ! J’admire alors l’indépendance et le savoir de ceux qui savent : faire pousser des légumes, réparer leur voiture ou encore se construire un meuble ! Je décide alors que moi aussi, je veux savoir faire quelque chose de mes deux mains. Une enfance bercée par le matériau bois, un papa charpentier, c’est un peu naturellement que je me dis que ça sera le bois ! Je pose ma démission, et m’inscrit en CAP ébéniste en formation pour adulte avec le GRETA. Septembre 2019, je fais ma rentrée des classes au lycée Couffignal à Strasbourg pour passer mon CAP ! C’est le début d’une nouvelle aventure et d’une nouvelle vie !

2. Si tu n’avais pas choisi le bois, vers quelle autre activité manuelle aurais-tu pu te tourner ? Y a-t-il une autre pratique artisanale qui t’attire ?
C’est drôle, car je me pose souvent cette question ! Comme je le disais plus haut, quand j’ai décidé d’apprendre à faire quelque chose de mes 10 doigts, c’est un peu sans réfléchir, que j’ai décidé que ça sera le bois ; puisque j’ai grandi avec ce matériau.
Aujourd’hui, avec le recul et la connaissance de ce qu’engendre la mise en place d’un atelier de transformation du bois et une meilleure connaissance de moi-même sur ce que je recherchais à travers cette reconversion professionnelle et manuelle, je me dis que cela aurait pu être la céramique, la vannerie ou peut-être la transformation du papier ? Je m’explique. Je sais aujourd’hui que je souhaite et cherche à faire / créer avec peu. Que la mécanique et la maintenance, ce n’est pas trop mon truc ! Et autant dire que pour travailler le bois, il faut un minimum de machines et de connaissances mécaniques. Alors il m’arrive de penser que j’aurais mieux fait d’être vannière ou céramiste. Qui sait, peut-être qu’une troisième vie m’attend encore ! Et j’aime rêver que pourquoi pas !?
3. Comment choisis-tu les essences de bois avec lesquelles tu travailles ? En as-tu une que tu affectionnes particulièrement ?
J’ai choisi de travailler uniquement avec des essences de bois locales, que l’on retrouve dans nos forêts et vergers en Alsace, ou en région Grand Est. Nous avons déjà tellement de choix ! Chêne, hêtre, frêne, cerisier, noyer, prunier, érable, orme, bouleau, etc. Une belle variété de couleurs, de veinages et d’odeurs aussi !
Le bois provient de scieries alsaciennes, d’ateliers de confrères chez qui je récupère des chutes, ou encore des tas de bois de ma famille et voisins, chez qui je sauve des bûches destinées au bois de chauffage !
Cela fait sens pour moi de créer avec ce qui m’entoure, sans aller chercher loin. Encore là une question d’éthique, de sens et de durabilité.


4. Tu tournes le bois pour réaliser certaines pièces, comme des bols. Peux-tu nous expliquer cette technique ? Quels sont les gestes, les outils, et les sensations que tu aimes dans ce travail ?
Les bols, coupelles et boîtes que je réalise sont en bois tourné. C’est-à-dire que je les fabrique grâce à la technique du tournage sur bois. J’ai à l’atelier un tour à bois et un jeu de différentes gouges que j’utilise pour cela.
La technique est assez simple sur le papier : c’est une pièce de bois qui tourne prise en pression entre deux pointes, ou fixée sur un mandrin. Ensuite, grâce la vitesse de tournage et à l’aide de différentes gouges bien affutées, je vais enlever petit à petit de la matière et façonner la forme que je souhaite obtenir. Pour un bol par exemple, j’utilise une gouge à creuser avec laquelle je commence par façonner la forme extérieure. Puis je retourne ma pièce et je creuse le bol.
Je dis que la technique est « assez simple sur le papier », car le tournage sur bois est un vrai art sensoriel ! Il faut sentir les gestes, avec ses mains, ses bras et même parfois son corps tout entier ! Faire, faire et refaire sont nécessaires pour acquérir les bons gestes.
Il faut toute une vie pour apprendre les multiples techniques et outils que l’on peut utiliser. J’en suis qu’au début !
Ce que j’aime dans le tournage, c’est cet aspect sensoriel. Partir d’un morceau de bois brut, souvent de forme plutôt plate et angulaire et petit à petit, le voir prendre forme sous ses yeux, vers une forme douce et arrondie. J’aime le fait de pouvoir guider la forme pas à pas, faire évoluer la pièce instantanément vers une forme que je trouve esthétique à mes yeux, sans calculer ni anticiper et sans savoir ce que cela va donner lorsque je fixe le morceau de bois sur le tour.



5. Tu brodes le bois, c’est une démarche à la fois originale et intrigante ! Comment t’es venue cette idée ? Et qu’est-ce que tu cherches à exprimer à travers cette technique ?

À la suite de mon CAP ébéniste, en 2021, j’ai fait la formation « concepteur-créateur » au CERFAV à Vannes-le-Châtel. C’est lors de cette formation que j’ai brodé le bois pour la première fois. On peut dire que ce fut l’accouchement d’un long processus difficile. Et quand je regarde dans le rétroviseur, je souris de là où j’en suis aujourd’hui avec ma broderie ! Lors de cette formation, je devais produire une pièce artistique, et autant vous dire que moi et la démarche artistique, à l’époque, ça faisait deux ! Ce projet artistique fut une page blanche, ma bête noire, pendant des mois… Jusqu’au déclic !
Le premier copeau, ou fine dentelle que j’ai obtenu fut une chute obtenue sans le vouloir. Lorsque cette chute est apparue, elle était belle et délicate. Je l’ai conservée et observée un petit moment sur mon étagère. Jusqu’à ce que je comprenne que ce copeau était le cœur même de ce pourquoi j’avais fait cette reconversion professionnelle et de ce que j’avais envie d’exprimer avec ce matériau : la beauté et l’authenticité de l’anodin, du quotidien. Le faire avec peu, avec « rien ». Faire sans machine. Faire en silence.
J’ai donc cherché à valoriser ce copeau, sans le dénaturé. Il était tellement fin, que je voyais les pores naturels du bois. En observant ces pores, j’ai eu l’idée d’essayer d’y passer un fil. Bingo ! Ce fut le début de mes broderies de copeaux.


6. “Laure Prin est ébéniste” : que penses-tu de cette étiquette ?
Je me dis que cela sonne un peu louche, et que je ne suis pas très à l’aise avec cette étiquette. Car oui, j’ai un CAP ébéniste, mais aujourd’hui, je fais tout sauf de l’ébénisterie ! J’ai conscience que mon approche du travail du bois est insolite, incongrue, pas vraiment dans les règles de l’art traditionnel de l’ébénisterie. Avec le temps, et voyant l’intérêt, la curiosité que cela suscite, je commence à l’assumer. Et finalement me dire que je travaille le bois comme j’en ai envie, à ma façon, peu importe que cela soit dans les règles de l’art ou pas !


7. Quels sont tes projets et tes envies pour les mois et années à venir ?
Mon grand projet 2025 était de trouver un local pour y installer mon atelier. Depuis 2021, je travaillais en partie chez moi et en partie chez des confrères. Cela commençait à être contraignant. C’est tout neuf, et j’en suis ravie : cela fait quelques semaines que je suis installée dans mon nouvel atelier à Saint-Martin dans la vallée de Villé. J’occupe une ancienne salle de classe, que je me réjouis de faire revivre. Mon projet pour cette fin d’année est de poursuivre l’aménagement de mon atelier pour pouvoir pleinement y travailler. Je vais notamment devoir acquérir quelques outils comme une scie à ruban.
Je souhaite aussi continuer à faire connaître mes broderies de copeaux. Je me lance dans de plus grands formats. J’espère continuer à avoir de belles opportunités d’exposition, en dehors de l’Alsace. Je prépare notamment le salon d’Art en Artisans à Montigny-lès-Metz qui aura lieu en Octobre où j’ai la chance d’avoir été sélectionnée.
8. Pour finir, peux-tu nous donner quelques créations coups de coeur à l'Écrin ou au Générateur ?
<3 Les fleurs en papier de Limyla
<3 Les bijoux de Yvanne Laurent, notamment les dernières sorties, les confettis !
<3 Les cartes gaufrées de Claire Perret, notamment les fleurs, le petit-pois et autres champignons !



Où retrouver le travail de Laure Prin ?
Boutique : L’Écrin
Instagram : @laureprin
Très beau portrait sensible!
Merci Martha ! Et cette sensibilité se retrouve tellement dans ses jolies pièces !
Merci pour ce portrait 🙂 très inspirant et qui met en avant toute la délicatesse du travail de Laure Prin ! J’ai hâte de découvrir les prochaines pièces.
Ravie que l’article t’ait plu Maéva ! Nous aussi, on a hâte de découvrir la suite !